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God's not dead |
Je suis vivant et vous êtes morts d'
Emmanuel Carrère (Points, 410 pages, 1993)
Incipit :
Le 16 décembre 1928, à Chicago, Dorothy Kindred, épouse Dick, donna naissance à un couple de jumeaux, prématurés de six semaines et tous deux maigrichons. On les appela Philip et Jane. Par ignorance, semble-t-il, parce qu'elle n'avait pas assez de lait pour les deux et parce que personne, proche ou médecin, n'avait pour compléter leur régime suggéré des biberons, leur mère les laissa souffrir de la faim pendant les premières semaines de leur vie. Le 26 janvier, Jane mourut.
On notera que l'auteur, dans ce début de biographie de Philip K. Dick, un des plus grands auteur de science fiction méconnu du grand public, exonère assez facilement une mère qui laisse mourir de faim un de ses enfants. Oups, ignorance. Et rapidement, bien sûr accuse ... l'entourage (On va tout de suite mieux quand c'est la faute des autres). J'ai laissé mon bébé en plein soleil, sans eau, oups, ignorance, pas facile la thermodynamique. Mon bébé est tombé dans l'escalier et il est mort. Oups ignorance. Tout le monde ne peut pas non plus être calé en gravité et sur l'accélération de la chute des corps. Bon, ok.
Mais le sujet n'est pas là, ce fait laissera des marques sur le futur Philip, un génie proche de la folie, qui a imaginé des histoires bien tordues puisant dans la psychologie (
Freud,
Jung), la réalité par les sens (la caverne de
Platon), la psychopathologie, le pouvoir, les croyances, la Religion, les drogues etc. des sujets assez profonds qui ont été depuis recyclés dans les films
Le Monde sur le Fil,
The Truman Show,
Dark City,
Passé virtuel,
Matrix, les films de
David Lynch et même
Stalker d'
Andreï Tarkovski, ou dans les séries comme
X-Files. Pour le livre
Simulacron-3 (1963 je crois) il faudrait que je regarde les dates. Il y en bien d'autres mais Dick a exploré d'une manière originale et en pionnier à sa manière. Seul souci, la science fiction est peu appréciée, méconnue et dévalorisée. Sauf masquée dans d'autres collections, certains se cachant en policier, aventures, et même chez des auteurs super connus (Musso ou Lévy, je sais plus lequel, et en plus je m'en fous je les lis pas). Oui, c'est un scoop, il arrive que des gens lisent de la science-fiction ou du fantastique sans le savoir. Fou, non ?
Pour Dick nous ne sommes pas le chat d'
Erwin Schrödinger, à la fois mort et vivant, mais plutôt morts, et lui vivant bien sûr.
Emmanuel Carrère nous emporte dans cet univers parallèle, entre biographie hallucinée sous ecstasy et complots paranoïaques total. Il y a d'ailleurs pas mal de similitudes introspective avec son autre ouvrage
Le Royaume. Guère étonnant qu'il est été intéressé assez tôt par
Philip K Dick. D'ailleurs
E. Carrère m'intéresse de plus en plus, par son style, son auto-analyse, sa curiosité, sa manière de faire passer des choses. Ses pages sur
Turing sont étonnantes (dans son dernier livre,
Il est avantageux d'avoir où aller), il est d'autant plus déplorable de trouver dans ce livre sur Dick, une énième confusion entre
programmateur et
programmeur (au moins deux fois). C'est bien la peine de la ramener sur
Alan Turing, de parler d'indécidabilité, du théorème d'incomplétude de
Gödel, de la
Bombe (ordinateur qui a cassé
Enigma), de programmation de la pensée, d'intelligence artificielle et au final de se ramasser comme une truffe, ne sachant pas distinguer entre ce qui fait l'âme des machines à laver moderne et un développeur de programmes. A sa décharge, c'est devenu courant comme dans
Chatbot,
Premier Bilan après l'apocalypse,
Millénium 4,
Contre le colonialisme du numérique, oui c'est triste, je ne m'en remet pas. Un peu comme parler de mécanique quantique, de théorie de la relativité et annoncer tout fier qu'elle a été découverte par
Robert Einstein. Mdr. A se demander s'ils savent de quoi ils parlent ou font semblant. Si cela se trouve ce sont des Intelligences Artificielles, je suis le dernier humain sur Terre, ce qui m'entoure est un programme de réalité virtuelle, je suis psychotique ou tout simplement mort comme dans
Le sixième sens, et je fais semblant de vivre, pour rester avec ma femme et ma fille le plus longtemps possible. Ou alors c'est moi l'imposteur ?
Ah oui la biographie. Bon, c'est très bien fait, on est stupéfait de la porosité entre Dick et ses œuvres, et on est poussé à s'interroger sur des questions existentielles, l'auteur à nous faire entrer dans l'univers de cet auteur bien barré, au point qu'on se demande si on ne vit pas un cauchemar éveillé parfois. Presque épuisant à la fin. On s'aperçoit qu'il a traité des thèmes repris dans pleins d’œuvres, mais c'est le propre de ceux qui ont trouvé des thèmes universels. Et surtout on a furieusement envie de lire ou de relire ses livres.
Note : AAA